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PHOTO Madagascar m’héberge depuis 1976, un onze novembre. J’ai plus parcouru ce pays qu’aucun autre. Ces deux faits ne garantissent pas une belle moisson. Surtout si la photo n’est pas votre métier principal, car tout vous tient, tout vous prend : vous êtes en quelque sorte volé du pays où vous êtes.
Pourtant, un “bon” photographe, comme un bon soldat, doit être un photographe en mission, corps et âme. Dès lors, il faut sortir et s’y coller.
Malgré mes décennies à Madagascar, j’y suis un étranger : on n’échappe pas à son physique, son accent, son mode de vie, sa dégaine. Tant mieux en un sens : un peu en dehors, j’ai un point de vue “perché”. D’autre part, dans une contrée où, avantageusement, les étrangers sont peu nombreux, vous bénéficiez souvent d’une dose de sympathie initiale, ce qui constitue quand même un capital-départ.
Madagascar, pays photogénique ? On n’y éprouve pas les énormes chocs paysagers d’Afrique, pas plus qu’on n’y rencontre ses animaux géants, ses habitants hors norme ; Madagascar, justement à propos, est “mini”, tant pour ses animaux, ses habitants et ses paysages. Mini mais “Gasy” : c’est un mini-continent détaché, qui a développé sa propre faune, sa propre langue, ses propres rites. Sa population est un patchwork d’Afrique et d’Asie ; les influences anglaise et française ont sculpté d’autres particularités. Vous ne trouverez pas, ailleurs, un autre Madagascar.
Madagascar n’est pas sur les grands axes de circulation, et ce pays est encore largement préservé de la mondialisation. Madagascar n’est pas aussi défiguré que le Cambodge, par exemple, avec ses marchés au cordeau imaginés par des urbanistes mal affinés, ou ses bourgs mercantiles, enfilant sur des kilomètres des cubes identiques, adonnées au négoce, dans les néons et le plastique, ses millions de touristes chinois.
Malheureusement peut-être, la pauvreté préserve également. Sinon pourquoi trouverait-on à Madagascar autant de toits en chaume et de pirogues sans moteur ? Le tourisme y est confidentiel, ses plages ne sont pas bétonnées, à 10 km de la capitale, c’est le moyen-âge : ni eau courante, ni électricité, des charrettes par monts et par vaux, des pistes dantesques, effroyablement ravinées, des horaires rythmés par la succession des jours et des nuits.
Tout ceci développe un sentiment d’altérité qui rend à la photo ses lettres de noblesse : la photographie sauve de l’oubli des gens et des lieux menacés.
La photo suppose aussi une empathie pour son Sujet. C’est là où Madagascar nous gâte : il n’y a pas un petit village au bout d’une plage ou d’un chemin de montagne, qui ne révèle la merveilleuse ingéniosité de ses habitants s’adaptant à des environnements hostiles. L’humanité vaut sans doute plus pour un jouet ou un ustensile de fortune sorti de mains agiles, que pour ses bombes d’atomes ou ses immeubles “grattant le ciel”.
Ce n’est pas dire que j’agis en ethnologue. Pas davantage dans le social ou le politique. Un peu dans l’écologie (en tant qu’outil de préservation). Je vise l’esthétisme dans les choses et les gens, leur ingéniosité évolutive, leur lutte quotidienne. L’”esthétisme” affiché ici s’oppose autant à la vision aseptisé d’un Madagascar de dépliant touristique, qu’au reportage de choc visant à faire pleurer dans les chaumières (càd aujourd’hui dans les médias). Madagascar tient une richesse et une unicité qui va disparaître un jour, laminé par une certaine idée du “progrès”. C’est le plasticien, armé d’un appareil-photo, qui s’exprime ici.